À propos

Février 2008. Je parcours une nouvelle fois les régions du Kham, de l’Amdo et de Lhassa. Comme d’habitude, l’ordre règne. Particulièrement à Lhassa, la capitale du Tibet qui se paye le luxe d’avoir un « quartier tibétain » recroquevillé sous l’ombre envahissante de la nouvelle ville chinoise. Le plus frappant est la paranoïa qui y règne. Regards de biais et informations chuchotées.

 

Mars 2008. Coïncidant avec le 49e anniversaire du soulèvement de Lhassa en 1959, le Tibet s’embrase. Tous les projecteurs de l’actualité sont braqués sur Pékin qui mise largement sur les Jeux Olympiques pour se payer un lifting de respectabilité dans le concert des nations. On connaît la suite, personne n’inquiétera la toute puissante Chine. Mais sur tous les continents, des milliers de manifestants sur le passage de la flamme lui feront perdre la face.

 

Juin 2008. Dès la réouverture du Tibet aux étrangers, je retourne à Lhassa. On me prévient que je serai suivi. Je ne peux sortir en ville qu’accompagné d’un guide qui sera tenu pour responsable de mes actes. Merci pour lui. Mais le plus étonnant, c’est encore la présence massive de l’armée. Elle est tout simplement omniprésente. Des patrouilles sillonnent Lhassa en permanence. Chaque carrefour est soigneusement contrôlé. Camions de transports de troupes et véhicules blindés pétaradant ajoutent une touche d’exotisme. La Bibliothèque et le Musée du Tibet ne sont plus que des parkings militaires. L’intérieur des bâtiments a-t-il également été investi? Mieux vaut aller se cultiver ailleurs. Pourquoi ne pas aller visiter les monastères par exemple? Pas de chance, ils sont tous fermés. Sauf celui de Sera réputé pour la gestuelle particulière de ses moines lors de joutes philosophiques publiques. Va pour Sera donc. Mais cette fois-ci, en fait de gestuelle particulière, je n’aurai droit qu’à la mine déconfite du seul et unique moine présent, incapable de me renseigner sur le nom de la divinité de la petite chapelle dont il est censé s’occuper. Autrement dit, il est autant moine que Napoléon était une locomotive à vapeur. Les centaines de religieux vus et revus lors de voyages précédents ont tout bonnement disparu.

 

Mars 2009. Le Tibet est plus que jamais verrouillé, scellé, muselé, cloîtré, fermé et interdit à tout regard étranger. Les agences de voyage annulent toutes les réservations. Cette fois-ci, c’est le 50e anniversaire de l’insurrection de 1959. On ne rigole plus. Heureusement, les organes officiels d’information de Pékin nous rassurent. Tout va très bien. C’est pour ça que ça ne vaut même pas la peine d’aller voir. L’agence Chine Nouvelle (Xinhua) nous informe même que « les habitants du Tibet et la police armée qui y stationne entretiennent des relations harmonieuses ». Bon, du moment que c’est harmonieux, c’est vrai que ça doit être plutôt sympa à vivre. Non, le seul vrai problème nous apprend cette fois-ci le Quotidien du Peuple, c’est « le dalaï ». Lui il exagère vraiment. Non content d’avoir une clique, « il utilise des crânes humains, du sang et de la peau dans des cérémonies religieuses ». Je comprends mieux maintenant pourquoi il a eu des problèmes de reins. Décidément, pour des informations fiables et pertinentes, rien ne vaut les médias chinois.

 

L’offensive de la propagande chinoise prend aujourd’hui des proportions sidérantes. En Chine, j’avais l’habitude. Je ne compte plus tous les documentaires surréalistes diffusés sur CCTV. Certains vous expliquent par le menu comment la Chine et le Tibet ne font qu’un depuis toujours. D’autres vous détaillent pourquoi il a fallu envoyer l’armée chinoise libérer ce pays féodal, qui ne fait qu’un avec la Chine depuis toujours, de ses oppresseurs sanguinaires qui découpaient du serf en rondelles à chaque coin de rue. Et si vous n’avez pas compris, sachez que dans ce pays, qui ne fait qu’un avec la Chine depuis toujours, on enterrait vivants des nouveaux nés dans les fondations des monastères. C’est entre autres pour mettre fin à ce type d’atrocités que la Chine a dû libérer le pays qui ne fait qu’un avec elle-même depuis toujours. Si vous n’avez pas bien compris, vous êtes chanceux, car des séances de rattrapage sont désormais largement disponibles à travers le monde. Expositions diverses et variées sur la « Libération pacifique » ou sur la « Réforme démocratique au Tibet depuis 50 ans ». Comment? Mais non, ce n’est pas le pays qui ne fait qu’un avec la Chine depuis toujours qui est démocratique, c’est la réforme. Ca ne veut rien dire, d’accord, mais avouez que ça sonne bien.

Sinon, vous avez aussi des livres ou bien des délégations de tibétologues pékinois affûtés prêts à vous rééduquer correctement sur le sujet. Plus branché, les réunions dans les ambassades chinoises avec des vrais Tibétains en chair et en os qui relaient le même message: « Le processus de la réforme démocratique du Tibet conduit par le Parti communiste chinois depuis 1959 a profondément changé le sort du peuple tibétain ».

Ah mais… Je savais bien qu’on finirait par être d’accord!

 

Cette offensive médiatique a bien évidemment envahi le cyber-espace. Désormais, les autorités chinoises mènent pied à pied une bataille de l’information — ou plutôt de la désinformation — sur Internet. D’où la multiplication des sites qui réécrivent l’histoire dans toutes les langues. Quant à la foire d’empoigne des forums de discussion, une armée de commentateurs, aussi subtils que des éléphants ivres dans un magasin de porcelaines chinoises, entre en transes dès que paraît une dépêche sur le Tibet. Des fonctionnaires du web chargés d’ânonner le dogme. 

 

Tout ce qui précède explique la genèse de Tibet-defacto.

Un site en langue française présentant des informations en général disponibles uniquement en anglais. Un site qui veut rendre compte de la masse des événements dramatiques qui se produisent au Tibet.

Un site qui fait la part belle à l’image pour donner ne serait-ce qu’une idée de la beauté saisissante de ses paysages, ses architectures et ses visages.